André Mérian

Sans recours à l’anecdote, André Mérian sait faire parler les lieux… 

The Statement

Urbi & Orbi – 2008 – Salle des Antiques du Château-fort de Sedan

Qu’est-ce que ce territoire ? Il semble parfaitement repérable ; situé à la périphérie des villes, il nous est familier avec ses zones commerciales qui alignent sans surprise ses supermarchés, ses entrepôts, ses parkings surdimensionnés, avec ses enchevêtrements de voies d’accès, ses accumulations d’enseignes et de panneaux publicitaires. D’autant plus familier qu’on le retrouve, identique à lui-même, un peu partout dans le monde comme si ce modèle urbain venu des États-Unis s’était universalisé par la seule vertu de son efficacité économique. Il n’en demeure pas moins un territoire mal défini, propre à susciter un sentiment de malaise – celui de n’être nulle part – à qui y attarde son regard un peu plus longtemps qu’il n’est d’usage ou simplement s’aventure à y circuler à pied.

André Mérian nous restitue ce malaise, d’inhumanité par des plans généraux, des vues cavalières où la présence humaine, quand elle est visible, se réduit à quelques individus minuscules égarés dans un monde trop vaste. Les grandes étendues qu’il embrasse, au lieu d’offrir au regard une promesse de liberté, ne trahissent qu’un vide et une volonté de ne permettre qu’une circulation, un comportement parfaitement normés et prédéterminés. Parfois, l’œil, échappant à l’organisation orthogonale de ce territoire, se plait à suivre les méandres qu’un paysagiste inventif a tracés entre les massifs d’une végétation poussive – évocation dérisoire d’une nature qui n’est plus – pour nous conduire vers un rond-point ou une station-service. Parfois, la vision se fait plus brutale, frontale, lorsque le regard vient buter contre le mur lisse et sans échappatoire d’un bâtiment aux couleurs tantôt mièvres tantôt criardes. Là, des piétons isolés semblent chercher le refuge d’une ombre rare ou s’abîmer dans l’attente d’un hypothétique autobus qui les ramènera vers un lieu de vie.

Sans recours à l’anecdote, André Mérian sait faire parler les lieux, révéler dans l’aménagement de l’espace ce mélange d’improvisation sommaire sur les restes d’un site naturel et d’instauration d’un système de rationalisation sans états d’âme, de contraintes habilement dissimulées, caractéristique de la violence sourde de notre société. Ici aussi, l’espace est politique.

Jean-Christian Fleury

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