Bogdan Konopka

Avec la « Ville invisible », Bogdan Konopka nous propose un subtil essai d’archéologie de la subjectivité. On pourrait même dire que c’est un essai anniversaire car, il y a tout juste un siècle, Robert de la Sizeranne exprimait, dans l’Esthétique de la photographie une intuition qui s’avérera cruciale pour le devenir de la photographie et son évolution en tant qu’art à part entière : selon lui, le « sujet » de la photographie ne se trouve pas seulement à l’extérieur, dans la nature, mais aussi dans le photographe lui-même.

La ville invisible

 

«Que dire du passé qui n’est que l’image décalée de ce qui a si peu été ?»
André Velter, Le temps du blasphème

Avec la « Ville invisible », Bogdan Konopka nous propose un subtil essai d’archéologie de la subjectivité. On pourrait même dire que c’est un essai anniversaire car, il y a tout juste un siècle, Robert de la Sizeranne exprimait, dans l’Esthétique de la photographie une intuition qui s’avérera cruciale pour le devenir de la photographie et son évolution en tant qu’art à part entière : selon lui, le « sujet » de la photographie ne se trouve pas seulement à l’extérieur, dans la nature, mais aussi dans le photographe lui-même. Comme s’il avait fait sienne cette idée, Bogdan Konopkan, durant de années avait littéralement « fouillé » l’Europe, en suivant les repères d’une obscure carte intérieure, à la recherche des emblèmes du passé qui garde encore son « aimantation d’horizon trouvé », pour citer encore le poète André Velter.

Le monde que le photographe fait surgir devant nos yeux est un monde crépusculaire, en décomposition. Qu’il s’agisse d’images d’intérieur-chambres, caves-ou de coupoles, d’engins et de paysages industriels du début du siècle, ou que l’objectif s’arrête sur des paysages de rue, des parcs, des murs, des immeubles squelettiques, des fenêtres, des escaliers ou des bouches de souterrains, les images sont toutes imprégnées de la même atmosphère : celle d’un univers « désaffecté ». Un univers auquel on a arraché le sens, que l’on a débranché, en le séparant de la source vire de toute signification. Par conséquent, c’est un monde difficile à reconstituer, même si l’on est muni d’un « mode d’emploi culturel ». Un monde du clair-obscur, du dégradé, un monde de l’entre-deux, relégué entre la présence et l’absence, entre un noir hésitant et un blanc agressif et corrosif. En fin de compte, quelle que soit la situation sur le front de la bataille que se livrent le blanc et le noir, il est évident que nous sommes plongés dans un no man’s land, dans des territoires qui, selon le même poète, « ne disparaissent pas facilement tant ils existent peu ».

Somme toute, Konopka est un provocateur. Si Robert de la Sizeranne pensait que le sujet de la photographie se trouve également dans le photographe lui-même, l’architecte de la « Ville invisible » déplace, lui, le sujet du photographe à celui qui regarde la photographie. Car il y a une autre chose encore qui frappe dans cet essai : l’absence étrange, on dirait « mise au présent » de l’homme. Une absence qui convie. Et qui nous incite à partir sur le champ à la recherche des invisibles archéologies subjectives dans nous-mêmes.

Extrait d’un texte de Ion MURESAN

Traduit par Anca Maniutiu

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