Deidi von Schaewen

Deidi von Schaewen rassemble des architectures dont les bâtisseurs ignorent et refusent les règles établies, du Palais du Facteur Cheval aux maisons de terre africaines ; elle répertorie les manifestations de la créativité dont les hommes des villes font preuve dans leur environnement, révélant, en y laissant leur marque, leur désir de se l’approprier.

Cairo, Hutts from Mauritania, fête de Durga

Urbi & Orbi – 2008 – La Forge Gendarme – Vrigne-aux-Bois

Qu’est-ce qui pousse une photographe à courir le monde pour collectionner des échafaudages, des portions de trottoirs ou de murs, des bicyclettes, des voitures bâchées, des cabanes en tôle ou des huttes en terre ? Ces artefacts de peu de valeurs, ces bricolages, ces improvisations, ces rebuts de la vie urbaine ont-ils un lien entre eux ? Depuis quarante ans, Deidi von Schaewen se passionne pour toutes les réalisations qui, dans la ville, bouleversent nos habitudes, subvertissent les règles communes, s’écartent du banal. Ainsi nous propose-t-elle une installation vidéo sur la fête de Durga à Calcutta pour laquelle chaque famille rivalise d’inventivité dans la réalisation des pandals, les « maisons des dieux » en carton-pâte, représentant la déesse tuant le démon-buffle, qui seront immergées par milliers à la fin de la fête dans un bras du Gange.

Deidi von Schaewen rassemble des architectures dont les bâtisseurs ignorent et refusent les règles établies, du Palais du Facteur Cheval aux maisons de terre africaines ; elle répertorie les manifestations de la créativité dont les hommes des villes font preuve dans leur environnement, révélant, en y laissant leur marque, leur désir de se l’approprier. Ready made rencontrés au hasard des flâneries ou pièces collectées de manière systématique à la suite de minutieuses recherches, prennent sens par l’accumulation. La série révèle des constantes, des variations, des exceptions. La multiplicité des bicyclettes qui parcourent les rues chinoises inscrivent au sol leurs éphémères calligraphies. Les voitures bâchées du Caire, souvent en attente de réparation ou d’essence, nous offrent le raffinement de leurs housses dissimulant des machines désirables derrière des voiles aux couleurs les plus diverses et aux drapés savants. Les abris faits de tôles de bidons récupérés et retravaillés que confectionnent des populations semi-nomades de Mauritanie traduisent une véritable intention architecturale : loin des bricolages approximatifs habituels aux bidonvilles, la rigueur des formes, le soin mis à l’agencement des couleurs et des motifs relèvent d’une esthétique cohérente.

Deidi von Schaewen adopte une esthétique documentaire, apparemment sans affect où prime le choix du juste point de vue : vues plongeantes basculées pour les vélos, strict profil pour les voitures, vision de face ou de trois quart pour rendre compte de la structure des constructions en tôle. C’est la volonté de décontextualiser chacune de ces réalisations qui donne l’unité à la série et permet la mise en perspective de ses constituants, confère à ces ombres, à ces tissus et à ces tôles leur surprenante force plastique. Là, réside le travail de l’auteur. Son émotion provoquée par le choc visuel lors de la rencontre, son sentiment de l’urgence de témoigner de ces créations éphémères et anonymes nous touchent d’autant plus qu’ils percent sous l’apparente froideur du constat.

Jean-Christian Fleury

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