Elsa Laurent

Derrière ces amas de tissus plus ou moins informes, se dissimulent des hommes, des femmes dont l’identité personnelle, sexuelle, sociale, culturelle n’est plus perceptible. De l’humain en cours de dilution dans l’espace public au point que, parfois, il en devient quasi invisible, tant il s’intègre dans son contexte d’asphalte et de béton.

Drapés

Urbi & Orbi – 2008 – La Forge Gendarme – Vrigne-aux-Bois

 

A Paris depuis quelques mois seulement, Elsa Laurent a arpenté la ville à l’affût des spécificités visuelles de ce nouveau territoire. En marge de l’accumulation et de l’abondance qui partout s’affichent, un leitmotiv a frappé son regard : ces amas de tissus, de couvertures où s’enfouissent les sans-abri. Envisageant la ville comme un musée, ces tas informes et éphémères se sont peu à peu imposés à elle comme des œuvres solides et durables, des drapés sculptés, lourds de références à l’histoire de l’art.

Étrange association au prime abord, que celle d’un motif traditionnel de la sculpture et de la peinture avec un sujet social sensible : le S.D.F. prétexte à des jeux formels douteux, à des exercices de virtuosité déplacés ? Question aussi vieille que l’art lui-même. Les statues d’esclaves de l’art gréco-romain ou de la Renaissance, les miséreux de Le Nain ou le pied-bot de Ribera suscitent-ils la réprobation des visiteurs de nos musées ?

Derrière ces amas de tissus plus ou moins informes, se dissimulent des hommes, des femmes dont l’identité personnelle, sexuelle, sociale, culturelle n’est plus perceptible. De l’humain en cours de dilution dans l’espace public au point que, parfois, il en devient quasi invisible, tant il s’intègre dans son contexte d’asphalte et de béton. Privé de nom, réduit à un acronyme qui fait de lui un pur anonyme, le S.D.F. a «conquis » sa place dans le paysage parisien, et constitue un élément du mobilier urbain. Elsa Laurent le photographie à hauteur du regard d’un passant, à distance « respectueuse » : celle qui à la fois préserve l’intimité du sujet et permet à l’opérateur d’éviter l’empathie.

La série met en évidence la diversité des postures et des matériaux qui servent d’enveloppes protectrices. Elle génère des variations sur le thème du gisant et du drapé. Y a-t-il un homme ici ? Ces images relèvent-elles de la figuration humaine ou de la nature morte ? Par leur ambiguïté-même, elles trahissent la violence muette que notre société exerce sur ces corps fantomatiques drapés, avant tout, dans leur dignité.

Jean-Christian Fleury

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