Frédéric Bellay

Pour le projet « Babel », j’ai choisi d’éliminer toute présence physique humaine. Cette disparition révèle la violence ordinaire faite à l’homme des villes. Vidée, la cité n’est plus que cet espace d’enfermement organisé, dont aucune partie n’est insignifiante. Au cœur de mes préoccupations se trouvent les relations que l’homme entretient avec l’espace et avec lui-même.

Babel

 

Mon travail sur la ville est avant tout une démarche artistique. Elle s’est davantage construite sur la connaissance de soi que sur la connaissance des lieux. J’ai donné à ce projet le nom de « Babel ». Il est le fruit d’un rapport personnel que j’entretiens avec la ville. L’analyse et les hypothèses sont venues au fil des recherches, en accord avec la compréhension que j’ai développée de la fréquentation de situations urbaines diverses. Quant au rapport personnel, il est fait d’un mélange d’attirance et de répulsion, de déambulations, d’un désir de me défendre de la ville, mais aussi de m’y confronter, de sortir de moi, de questionner le monde, d’y participer… Cette participation a pris la forme d’un regard qui se veut engagé. De cet engagement a découlé le besoin d’aller voir et la nécessité de construire. Des liens se sont tissés à l’intérieur du travail, répondant aux questions, aux
hypothèses que je me suis formulées sur la ville.

Tout cela est un travail photographique. Et la photographie n’est pas ici un moyen pour rendre compte, mais une forme pour interroger et produire des images. La photographie est un choix que j’ai fait, qui m’a aidé à mettre en forme mon rapport au inonde. De cette difficulté de départ, s’est établie une distance qui m’a fait choisir d’inscrire techniquement ce décalage à l’intérieur du travail en optant pour le noir et blanc. Ce noir et blanc répondait aussi à mes aspirations à un
certain travail de la lumière, fruit d’une longue fréquentation de l’histoire de la peinture et de ses œuvres. Très vite il m’est aussi apparu nécessaire de réaliser des images non narratives. Une image narrative
court le risque, une fois son contenu « lu », de se retrouver vidée et, devenue inutile, puisque consommée, d’être remplacée par la suivante,
indéfiniment. A ces images à message, j’essaie d’opposer des images à problèmes, des images qui résistent. Et tous mes choix formels y tendent. C’est pour cela aussi, que je travaille la nuit. Non seulement
celle-ci, par les particularités des lumières nocturnes, souligne, mais cache aussi l’excès d’information, absorbe l’anecdote, toutes choses qui tendent à alimenter une narration. Un cadrage s’est également mis en place, dans lequel la frontalité est la solution le plus souvent retenue. Ma position de piéton, d’arpenteur de villes l’a imposée. La distance de mon regard au mur sur lequel je bute inévitablement est celle du marcheur. Cette distance se retrouve inscrite dans mes images.

Pour le projet « Babel », j’ai choisi d’éliminer toute présence physique humaine. Cette disparition révèle la violence ordinaire faite à l’homme des villes. Vidée, la cité n’est plus que cet espace d’enfermement organisé, dont aucune partie n’est insignifiante. Au cœur de mes préoccupations se trouvent les relations que l’homme entretient avec l’espace et avec lui-même.

Fédéric Bellay, 20/11/2000

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