Jiri Hanke

Vingt ans à sa fenêtre : cette « stratégie de l’araignée » qui ne va pas au devant de sa proie mais attend patiemment qu’elle vienne se prendre dans ses rets, fut aussi celle d’un Paul Strand qui, ayant fui New York et renoncé aux voyages, cherchait le monde à sa porte dans le village d’Orgeval.

Vues de la fenêtre de mon appartement

Urbi & Orbi – 2008 – Cinéma Métropolis – Charleville-Mézières

 

Durant plus de vingt ans, Jirí Hanke a regardé le monde à sa fenêtre. Depuis son petit appartement de Kladno, à la périphérie de Prague, il a photographié les événements, petits et grands, survenus entre 1982 et 2004. Sa fenêtre est un cadre où s’inscrivent le spectacle du quotidien, les signes d’un monde apparemment figé dans ses habitudes mais qui s’achemine en fait vers une profonde mutation.

Jirí Hanke nous livre ainsi une méditation sur le temps. Les travaux modifient peu à peu l’aspect de la rue tandis que se succèdent les saisons : neige sale des hivers, printemps pluvieux, étés à la lumière crue. Il nous propose aussi une méditation sur l’Histoire en train de s’écrire au quotidien, au gré de minuscules événements. Une course cycliste, la neige qui envahit la chaussée, un défilé militaire, une inondation, le changement des modèles de voitures en stationnement, les modifications constantes de la forme du parking en contrebas, une carriole attelée : tout devient indice, matière à réflexion (à tort ou à raison) sur l’évolution d’une société.

Mais cette fenêtre est aussi la métaphore d’une ouverture politique dans un monde fermé : celui de la Tchécoslovaquie des années 80, les dernières du bloc communiste. En créant au sein du local de la banque où il travaillait et où il habitait la Mala Galerie, il offre aux photographes et artistes contestataires un lieu de rencontre, de diffusion de leurs œuvres en même temps que d’ouverture à la création venue de l’Ouest.

Vingt ans à sa fenêtre : cette « stratégie de l’araignée » qui ne va pas au devant de sa proie mais attend patiemment qu’elle vienne se prendre dans ses rets, fut aussi celle d’un Paul Strand qui, ayant fui New York et renoncé aux voyages, cherchait le monde à sa porte dans le village d’Orgeval. Une telle stratégie suppose que le microcosme a valeur universelle, que l’Histoire est faite essentiellement d’histoires. Le monde que Jirí Hanke photographie n’implique, paradoxalement, aucun jugement politique. Cette succession d’images s’avère une tentative obstinée de concilier les sphères privée et publique, la vie et l’Histoire. Elle nous enseigne en définitive le refus de l’insignifiance et de la hiérarchie des faits.

Jean-Christian Fleury

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