Julien Coulommier

Bien qu’apparemment très variée, l’œuvre de Julien Coulommier possède, au travers des différents motifs, techniques mises en œuvre périodes successives, une cohérence remarquable. Une sorte d’organicité y joue le rôle de constante, quand bien même il s’agit d’objets inanimés voire de représentations parfaitement abstraites.

Rétrospective

Dans la photographie de Julien Coulommier, la réalité quotidienne acquiert une vie autonome et une dimension nouvelle, insoupçonnée. Croissance et génération s’y mêlent à la dégénérescence et aux meurtrissures. (Pool ANDREIS)

L’œuvre photographique de Julien Coulommier couvre une période allant de 1950 à nos jours et est représentative, dans notre pays, d’une étape tant fascinante que cruciale du développement qu’y connut la photographie artistique. Avec Serge Vandercam, Robert Besard, Antoon Dries, Marcel Permantier et quelques autres, Coulommier fit, dès les premières années 50, partie du groupe restreint de ceux qui s’activèrent en faveur d’un renouvellement radical de la photographie, au plan du style comme à celui du contenu. Coulommier rejette à la fois le post-picturalisme stérile et les doucereuses photos documentaires qui peuplaient à l’époque les salons photographiques. En accord avec les tendances nouvelles qui se manifestaient à l’étranger également (fotoform, subjektive fotografie, La Bussola…), il œuvre pour la percée d’un art photographique plus personnel et plus créateur, pourvu d’un langage formel spécifique, issu des possibilités propres au médium lui- même.
Sans doute n’est-il pas superflu de rappeler ici le contexte qui vit émerger cette prise de position. Les horreurs de la guerre avaient peu ou prou paralysé l’ensemble de la vie culturelle européenne et provoqué un important hiatus dans le développement des arts plastiques. Dans le domaine de la photographie, un terme brutal avait été mis à l’approche expérimentale des Laszio Moholy-Nagy, Raoul Hausmann et Man Ray. Il allait sans dire cependant, aux environs de 1950, qu’une série de jeunes artistes photographes ne pourraient que se reporter massivement à cette période d’avant-guerre, dans l’espoir justifié de trouver dans l’œuvre de ces expérimentaux, les bases leur permettant de fonder une suite, tout en comblant le vide les séparant de leurs prédécesseurs. Cette jeune génération restait tributaire de celle de l’entre-deux-guerres dans la mesure où elle visait une libération et une appréciation des moyens spécifiques offerts par la technique photographique. Par ailleurs, en vertu de l’orientation humanitaire marquée et du caractère nettement subjectif de leur travail, ces photographes, et parmi eux Julien Coulommier, appartiennent à une génération affectée par la guerre et ses suites. L’expression directe, crue parfois, d’expériences et émotions profondément humaines dans leurs œuvres l’emporte généralement sur quelque doctrine artistique ou théorie esthétique. En ce sens, on peut affirmer leur parenté avec les artistes ayant participé à des mouvements comme Cobra, La Jeune Peinture Belge ou encore, un peu plus tard, G 58.
Notons du reste que l’option prise par Coulommier lorsqu’il élut la photographie en tant que moyen d’expression le plus approprié, est à situer au sein d’un champ d’intérêt nettement plus vaste, comme en témoignent les nombreuses relations de collaboration et d’amitié qu’il entretient avec des artistes pratiquant une autre discipline (Maurice Wyckaert, Jacques Lacomblez, Roel D’Haese, Chris Yperman…). Il fut également très lié avec le jeune Marcel Broodthaers. Celui-ci rédigea le texte introductif de l’exposition personnelle que le Palais des Beaux Arts de Bruxelles consacra à Julien Coulommier en 1958, et choisit même les titres surréalistes ou poétiques de certaines œuvres présentées à cette occasion.
Bien qu’apparemment très variée, l’œuvre de Julien Coulommier possède, au travers des différents motifs, techniques mises en œuvre périodes successives, une cohérence remarquable. Une sorte d’organicité y joue le rôle de constante, quand bien même il s’agit d’objets inanimés voire de représentations parfaitement abstraites.
La réalité quotidienne y acquiert une vie autonome et une dimension nouvelle, insoupçonnée. Croissance et génération s’y mêlent à 1s dégénérescence et aux meurtrissures. Un mur plâtré, une branche morte, une tige de mauvaise herbe s’érigent à la manière de silhouettes humaines ou animales, ici menaçantes, là fragiles et vulnérables. Coulommier obtient ces états d’abstraction en jouant en virtuose, et de manière fort diversifiée, des effets d’étrangeté qu’autorise un large éventail de techniques spécifiquement photographique. Ce faisant, il évite anxieusement l’effet facile, tandis que sa volonté de visualiser l’invisible le préserve de tout formalisme esthétisant. Julien Coulommier formule en ces termes sa conception de la photographie : «Ma vision créatrice découvre des aspects cachés qui se révèlent être à l’unisson avec mon propre univers intérieur, et leur confère une forme visible qui est la photo». et «Mes photos sont pour moi des souvenirs solidifiés de visions et expériences fantastiques, lumineuses ou sombres. En moi elles évoquent le merveilleux expérimenté : un fantasme, une idée, un sentiment ayant su m’émouvoir sur un mode poétique». Jaugée à l’aune du jargon parfois pontifiant de la critique d’art contemporaine, cette formulation paraît désarmante, d’une naïveté presque enfantine. Elle dit pourtant, dans toute sa simplicité, l’ouverture et la capacité d’étonnement qui caractérisent son approche de la réalité visuelle et témoigne du raffinement d’un esprit livré sans CPSSP à la réflexion intellectuelle sur une réalité par-delà les choses.

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