Laurent Monlaü

L’appréhension de l’espace, la beauté d’un paysage, la valeur de l’eau, d’un pâturage, d’un produit d’échange sont largement déterminés par le souvenir du désert. Pourtant, les tentes sont devenues maisons – parfois même villas – le berger s’est fait éleveur, le guerrier manœuvre.

Maures

 

Nourri comme tout un chacun des fantasmes liés au Sahara et à ceux qui le parcourent, Laurent Monlaü s’est rendu en Mauritanie pour la première fois il y a une dizaine d’années. Dans cette république islamique dont quatre-vingt dix pour cent de la population était nomade il y a trente ans, il a découvert un peuple toujours organisé en tribus, fidèle à ses codes et à ses usages mais presque entièrement sédentarisé sous les effets conjugués des grandes sécheresses et de l’instauration de douanes aux frontières des pays limitrophes. La famille élargie continue à se regrouper sous le même toit, les enfants sont toujours élevés collectivement, la règle de l’hospitalité reste immuable : autant d’héritages d’un mode de vie passé qui imprègne encore les mentalités. L’appréhension de l’espace, la beauté d’un paysage, la valeur de l’eau, d’un pâturage, d’un produit d’échange sont largement déterminés par le souvenir du désert. Pourtant, les tentes sont devenues maisons – parfois même villas – le berger s’est fait éleveur, le guerrier manœuvre.

Laurent Monlaü a saisi ces « gens des murs » chez eux : corps immobile, geste suspendu, ils affrontent l’objectif, conscients de leur image. Ici, la juxtaposition des tissus, le mouvement des robes, l’accumulation des tapis, des tentures aux couleurs vives composent un décor intime et sensuel, conçu à l’échelle des corps comme celui d’une tente. Ailleurs, à l’école, à la boutique, au salon de henné, la nudité des murs aux couleurs acides, l’austérité revendiquée des pièces — même parfois chez les plus riches — composent un décor minimaliste qui théâtralise la réalité. En habitué du théâtre, Laurent Monlaü saisit des personnages, des scènes dont les auteurs ne sont autres que les acteurs eux-mêmes. Il les déréalise par l’usage du flash retardé qui élimine les détails et par les réactions de la pellicule qui exacerbe les couleurs, pour en faire des icônes, donc leur conférer une part d’intemporalité.

Présentées à la fabrique de tapis du Point de Sedan, ces images nouent un dialogue complice avec le lieu. En raison de sa fonction, bien sûr, mais plus profondément encore peut-être, parce qu’il représente, comme les sédentarisés de Mauritanie, la survivance d’une tradition séculaire vouée à disparaître ou à perdre son identité.

 

J.-C. F.

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