Michel Denancé

Sans pathos, Michel Denancé réalise de froids constats à la chambre, frontalement et depuis le niveau de la rue, adoptant la vision du promeneur, pour nous entraîner à travers ce paysage provisoire, dans ces îlots de « jachère urbaine » qui introduisent au cœur de la ville pressée et arrogante leur temporalité propre, leur fragilité et leur silence.

Petites agonies urbaines

 

Photographe d’architecture habitué à travailler sur les grandes réalisations contemporaines, Michel Denancé s’est donné cette fois pour mission de réunir en ensemble les façades murées d’immeubles qu’il photographie à Paris et en banlieue. Voués à la destruction à la suite d’un projet d’aménagement ou du fait de la spéculation immobilière, ces bâtiments en général modestes, qui ne sont ni ruines ni habitat, nous troublent par leur statut ambigu, tels des condamnés dont le sursis à exécution peut se prolonger durant des années.

Quelques chiffons pendus en guise de rideaux, une percée dans les parpaings trahissent parfois une vie semi clandestine et attestent que l’effort déployé pour rendre les lieux inhabitables a été vain. Maladroitement murées, ces façades évoquent immanquablement des visages défigurés, aveuglés et procurent une impression de malaise, comme si l’on assistait à la lutte muette d’un mourant sur lequel on s’acharne. Il pèse sur elles le double poids d’une condamnation et d’un renoncement : celui de les réhabiliter, de leur donner une seconde chance. On se prend à espérer une grâce devant certaines façades encore fières, parfois belles, devant ces cafés, ces salons de coiffure où l’on serait volontiers entré, à espérer un geste pour que toute cette mémoire accumulée là ne disparaisse pas. Curieusement, ces maisons obstruées ne nous avaient jamais paru aussi vivantes que depuis qu’elles sont promises à la mort.

Sans pathos, Michel Denancé réalise de froids constats à la chambre, frontalement et depuis le niveau de la rue, adoptant la vision du promeneur, pour nous entraîner à travers ce paysage provisoire, dans ces îlots de « jachère urbaine » qui introduisent au cœur de la ville pressée et arrogante leur temporalité propre, leur fragilité et leur silence.

 

J.-C. F.

 

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