Sung hee Lee

Non sans quelque malice, Sung hee Lee passe en revue ces sentinelles placées en avant-poste par quelque état-major du marketing, mais qui semblent pour l’instant d’absurdes sculptures égarées dans un monde qui leur est étranger.

Panneau vide

Urbi & Orbi – 2008 – Superette rue de l’Horloge – Sedan

 

Pour expliquer sa démarche, Sung hee Lee recourt volontiers à une comparaison linguistique : partant de l’observation qu’un mot répété un grand nombre de fois de suite finit par exister comme signifiant indépendamment de son sens, ce jeune photographe se propose de modifier notre perception d’un objet banal – ici des panneaux publicitaires – non en les changeant de contexte, comme dans le cas des readymades, mais en le déclinant en série et en lui ôtant sa fonctionnalité : les panneaux, vierges, ne comportent aucun message.

Collectés essentiellement en Thaïlande et au Vietnam, ces constructions, que l’on retrouve partout dans le monde, jalonnent les bords de routes, entrent par effraction brutale dans le paysage, qu’il soit urbain ou rural, imprimant sur la nature ou sur la ville le sceau du marché auquel nul espace ne doit se soustraire. L’accumulation opérée par Sung hee Lee de ces squelettes métalliques rectangulaires, aux proportions variées mais le plus souvent démesurées par rapport au site qu’ils occupent, laisse apparaître leur vérité : celle de « colosses aux pieds d’argile », à la destinée incertaine, qu’une fluctuation des modes ou des marchés suffira à condamner. En cours de construction, ces frêles échafaudages se dressent dans le ciel tels des filets à rêves, enjambant végétation et maisons. Une fois achevés, leurs immenses panneaux obstruent la vue, trouent la nuit de leur rectangle blanc aveuglant. Ces géants mutiques – tout au plus n’ont-ils à proposer qu’un numéro de téléphone, prêts à s’offrir au premier appel – semblent prêcher dans le désert : celui des terrains vagues, des zones périphériques en voie d’aménagement. Indifférents à leur environnement actuel, ils adressent leur futur message à de futurs consommateurs qui emprunteront des voies de communication encore à l’état de projet. Non sans quelque malice, Sung hee Lee passe en revue ces sentinelles placées en avant-poste par quelque état-major du marketing, mais qui semblent pour l’instant d’absurdes sculptures égarées dans un monde qui leur est étranger.

Jean-Christian Fleury

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