Valérie Jouve

Si, pour son premier film, Valérie Jouve a souhaité revenir à Marseille, ville où elle a vécu et qui lui est chère, c’est pour y faire le constat sensible, mais sans nostalgie, d’un milieu où régnait jadis une atmosphère villageoise, devenu aujourd’hui un territoire livré à lui-même sans être sauvage, quadrillé de voies rapides de circulation qui le traversent mais ne le desservent pas, flanqué d’un centre commercial gigantesque mais incapable d’occuper l’espace disponible.

Grand Littoral

Cela commence ainsi : un homme lourdement chargé de sacs en plastiques suit un sentier qui serpente dans la verdure. Avec précaution, il franchit les glissières de sécurité qui bordent les voies d’une autoroute, la traverse puis continue sereinement sa marche sur le sentier qui reprend à l’autre bord. Dans ce territoire en bordure de Marseille, pompeusement baptisé il y a une dizaine d’années Grand Littoral, un réseau de passages improvisés livre ainsi une guérilla quotidienne aux voies de circulation tracées par les édiles.

Si, pour son premier film, Valérie Jouve a souhaité revenir à Marseille, ville où elle a vécu et qui lui est chère, c’est pour y faire le constat sensible, mais sans nostalgie, d’un milieu où régnait jadis une atmosphère villageoise, devenu aujourd’hui un territoire livré à lui-même sans être sauvage, quadrillé de voies rapides de circulation qui le traversent mais ne le desservent pas, flanqué d’un centre commercial gigantesque mais incapable d’occuper l’espace disponible. Un territoire de collines rocheuses qui déferlent vers la mer, oublié des urbanistes et des promoteurs parce que, sans doute, trop « ingrat ». De même que la nature tente de reprendre ses droits sur les ferrailles et les plaques de béton échouées çà et là sur les pentes, les habitants de la Colline n’ont pas abdiqué : Valérie Jouve nous les montre, corps flottants, dialoguant avec un espace vacant construit à une échelle et pour des motifs qui ne les concernent pas. Ils ne font que passer, entrent et sortent du cadre, se croisent, se rencontrent rarement, poursuivis par le grondement obsédant des bruits de circulation ; ou bien, immobiles, ils observent leur royaume balayé par le vent, illuminé par des couchers de soleil somptueux. Ces scènes sans dialogues, sans narration, ne relèvent ni de la fiction ni du documentaire : si les acteurs y suivent des indications écrites très précises, les gestes improvisés, les instants volés, la lumière donnent au film sa poésie, restitue l’âpre beauté de ce no man’s land habité où, de l’anarchie topographique, naît une authentique liberté.

 

J.-C. F.

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